Jean-Marc de Pas à Bois-Guilbert : Le rêve et la matière
Quand Jean-Marc de Pas reçut en héritage le château de Bois-Guilbert, il avait 21 ans. L'âge de tous les possibles. Celui qui s'offrait à lui par le jeu des successions était d'envergure et, à la limite, un peu fou.
Il lui appartenait, en effet, de rendre vie à cette belle maison, prototype de ces « campagnes » aux proportions harmonieuses telles que les membres du Parlement de Rouen se plurent à s'en faire construire aux alentours de la capitale normande. Tout bruissant encore des souvenirs que ses ancêtres BoisGuilbert et Corneille y ont laissé et dans un décor agreste qui aurait pu inspirer Jean-Jacques Rousseau, Jean-Marc de Pas y trouva le cadre idéal lui permettant de mettre en concordance son amour de l'espace et l'art de transcender la matière.
Au bout de pratiquement 30 ans d'efforts inventifs et d'acharnement éclairé, les arbres et la sculpture sont devenus les éléments-phare autour desquels Bois-Guilbert a trouvé sa véritable dimension.
ll fallait être poète pour imaginer des perspectives qui n'existaient pas encore et avoir la pugnacité d'attendre que la nature les magnifie. Planter un arbre relève d'une vue de l'esprit et de l'exploit. Mais Jean-Marc de Pas portait en lui des capacités de patience et d'imagination qui lui ont permis d'attendre que le temps les concrétise, du moins en ce qui concerne le parc où on dénombre près de 10000 plantations. Aujourd'hui, Bois-Guilbert est devenu son œuvre rêvée mais parallèlement, le jardinier-poète, grâce au sculpteur, a touché du doigt (et des mains) une réalité plus directement tangible qui fait de lui un artiste dont la renommée dépasse les frontières. Dans l'un et l'autre cas, il fallait du talent pour mettre en application des intentions aussi parfaitement complémentaires et construire un environnement relevant d'une philosophie aussi sereine qu'opiniâtre.
Et cela n'a rien d'étonnant : aussi loin qu'il s'en souvienne la nature a fait partie de son univers. Tout enfant, déjà, avec ses frères il parcourait la campagne à dos de ces poneys avec lesquels son père avait créé un club destiné à la jeunesse. Cette immersion acquises pour ainsi dire au berceau ne le quittera pas et façonnera une personnalité qui s'emploie à mettre en application une vision du monde qui n'est pas éloignée de celle du siècle des lumières.
Travailler sur la nature, c'est magnifique. Au début, même sans disposer de beaucoup de fonds, il suffit de prendre ce qu'elle nous offre. On a sous la main les semis de toutes les espèces d'arbres que l'on trouve dans la forêt. Ensuite, il faut les mettre en perspective pour atteindre à ce réflexe du beau grâce auquel tout devient possible et par lequel, à son tour, on peut apporter de la beauté
Une démarche qui aboutit avec le temps sur une réflexion plus élaborée et se transcende dans une vision intellectuellement cohérente.
Les jardins de Bois-Guilbert sont en quelque sorte la carte du Tendre dont Madeleine de Scudéry aurait tracé les savantes circonvolutions en compagnie de BoisGuilbert ou de Fontenelle. Et c'est si vrai que le parcours de Bois-Gulbert conduit du « Jardin du cosmos » à « L'espace solaire » en passant par le « Cloître des quatre saisons » et dans l'attente que « Le jardin du temps » ne prenne la forme définitive que la nature lui permettra de façonner.
Quant à la sculpture, elle est chez lui aussi omniprésente que son amour des arbres. Il y a chez Jean-Marc de Pas une correspondance étroite entre le rêve et la matière et cette matière elle s'est révélée, au départ, dans des études d'ébénisterie qui l'ont ouvert à la poésie des formes. Tout naturellement l'argile de Bois-Guilbert lui a apporté le socle de ses premières ébauches. Progressivement, il a donné une forme réelle à l'imaginaire dans des compositions que l'on rencontre un peu partout en France et à l'étranger à travers des œuvres qui fixent le mouvement dans ce qu'il appelle une « pétrification de la beauté ».
L'illustration parfaite est dans cette « Biennale de la sculpture» à laquelle participent de nombreux artistes. Ils sont trente cette année dont les œuvres – dont celles, majeures, de Volti dont l'inspiration n'est pas sans faire penser à Maillol – se voient dans le parc aux côtés des quelque 150 oeuvres du maître de maison (jusqu'au 15 novembre).
Une prolongement en forme d'initiation qui a permis à Jean-Marc et Stéphanie de Pas de faire de Bois-Guilbert un véritable poème à ciel ouvert.