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Théâtre en Normandie

La Cantatrice chauve : Le bonheur d'être décoiffé !

4 Juillet 2015 , Rédigé par François Vicaire

La Cantatrice chauve : Le bonheur d'être décoiffé !

Les beautés mortifères qui ornent les façades de la cour intérieure de l'aître Saint Maclou ont dû avoir quelques soubresauts hoquetés devant la folie de cette « Cantatrice chauve » qu'y présente encore pendant quinze jours Catherine Delattres. C'est un spectacle qui hisse la qualité au niveau de l'absurde ou plus exactement l'absurde au niveau de la qualité.

De toute manière, de quelque manière qu'on les prenne, les pièces de ce puzzle fou étant interchangeables chacun peut y trouver son compte quand on l'accepte et … son mécompte quand on ne consent pas à s'y astreindre.

Mais comment ne pas entrer avec enthousiasme dans ce jeu de miroir déformant que Catherine Delattres a construit comme un ballet baroque qui ne faiblit pas un seul instant ?

Sa mise en scène est précise, incisive et drôle sans jamais sombrer dans le grotesque. C'est d'une intelligence acérée qui renouvelle l'idée que l'on peut se faire à tort de l'absurde. Car, si on y réfléchit bien, Ionesco ricane, bouscule, manie la dérision avec un plaisir jouissif mais en même temps fait un sort à cette « middle class » engoncée dans ses habitudes et les idées reçues.

De cette fantaisie de potache devenue un classique, il se dégage une santé abrupte, un bonheur impromptu, un désir un peu pervers de regarder les personnages se dépétrer dans les rouages d'une machine dont ils ne parviennent pas à maîtriser le mécanisme déjanté et de laisser ainsi au spectateur le bénéfice de ses propres doutes.

Car au milieu de toute cette folie, savamment orchestrée, il y a l'homme avec ses contradictions, ses peurs et ses fantasmes. La mise en scène ne perd jamais l'occasion d'humaniser des rapports artificiellement conflictuels qui n'ont ni queue ni tête mais qui, contre toute attente, portent en eux la logique implacable d'un authentique néant existenciel.

Catherine Delattres soumet son équipe de comédiens à un rythme très soutenu, très physique. On pourrait penser qu'elle les a abandonnés aux mains d'un manipulateur devenu subitement fou alors qu'elle maîtrise admirablement la construction intellectuelle et scénique du spectacle.

C'est une belle performance qui fonctionne au quart de tour. Il en résulte un remarquable travail sur le corps, sur la gestique et en même temps sur un art du « paraître » qui transforme très subtilement les différences en complémentarités et qui relève d'une analyse sur les êtres extrêmement pertinente.

La distribution se livre à une formidable exercice pour lequel il serait bien difficile de mettre en évidence un élément plus qu'un autre. Gaëlle Bidault, Sophie Caritté, Jean-François Levistre, Bernard Cherboeuf forment un quatuor dont les mouvements sont remarquablement agencés et qui derrière une apparente identité laisse transparaître chez chacun d'eux une réalité construite par petites touches subtiles. Nicolas Degrémont se livre à une époustouflante tirade qui vaut à elle seule le détour et Gwen Buhot affirme une présence qui pour être souvent muette, n'en est pas moins déterminante

Tout cela constitue un bel ensemble d'intelligence et de vivacité que l'on doit à la réflexion et au travail de Catherine Delattres et, aussi, à l'investissement d'une équipe de comédiens tout à fait remarquable.

Chauve ou pas, il faut aller voir cette cantatrice.

Et c'est un bonheur que de se laisser décoiffer par elle ! !

Aître Saint-Maclou – Rouen

Jusqu'au lundi 13 juillet à 21 heures (relâche le jeudi 9) – Réservations au 02 35 98 12 34

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