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Théâtre en Normandie

3 – Opéra de Rouen : L'arrivée des «jeunes loups »

14 Octobre 2016 , Rédigé par François Vicaire

Avant de quitter la maison, Paul Ethuin appuiera la candidature de Jacques Forestier.

Enfant du « sérail », (son beau-père était Jésus Echeverry, un chef-phare de la salle Favart), Forestier venait de l'Opéra-Comique où il avait fait sa carrière.

Il connaissait les rouages du métier et avait été à même de régler les multiples incidents syndicaux qui émaillaient régulièrement cette grande maison.

Malheureusement Forestier, qui cultivait une certaine nonchalance, eut juste le temps de gérer la saison que Paul Ethuin avait préparée mais n'eut pas l'opportunité de mettre la sienne en application. Un an après son arrivée, en 1990, il sera brutalement remercié pour des raisons auxquelles, en plus de problèmes personnels mis en exergue pour justifier son renvoi, les interférences politiques ne furent pas étrangères. S'en suivra une étrange période de flou pendant laquelle les politiques cherchèrent l'homme providentiel. On parla même un temps de Jean-Pierre Berlingen, directeur de l'Ensemble Orchestral de Normandie. Ce fut Michèle Guigot, attachée de direction à la communication, plus tard directrice de Duchamp-Villon, qui eut la charge d'assurer une transition difficile au cours de laquelle elle maintint la maison dans un état de fonctionnement qui permit d'attendre la nomination d'un nouveau directeur.

Marc Adam et un nouvel art de vivre le lyrique

L'arrivée en1991 de ce jeune homme (il sera le plus jeune directeur de théâtre) donnera une impulsion qui changera radicalement le style de la maison.

Avant tout homme de scène, il arrivait de Sarrebruck où il dirigeait le festival « Perspective ». Il montrera très vite son intention d'imprimer sa marque au théâtre. Dans ce sens il remplit parfaitement son contrat, aidé en cela par un « poids lourd »  musical en la personne de Frédéric Chaslin, jeune chef prometteur qui ne résistera pas, hélas, à une ambiance quelque peu délétère. Marc Adam faisant preuve d'une pugnacité toute protestante y résistera mieux et récoltera un certain nombre de prix pour ses mises en scène dont, en 1997, le Grand Prix du Syndicat national de la Critique, pour un « Wozzeck » de Gurlitt, consacré meilleure production lyrique de l'année en France. Mais il faut reconnaître que ses conceptions souvent décoiffantes déclenchèrent l'ire d'une tranche de public d'abonnés. Ceux-ci, accrochés à leurs habitudes lui firent savoir dans des concerts, pas du tout improvisés, de crécelles et de sifflets soigneusement dissimulés sous les visons... Ce qui en soi était une bonne chose, un jugement même excessif étant préférable à une admiration inconditionnellement béate pour ne pas dire béotienne.

Avec un esprit de provocation qu'il cultivait avec une gourmandise souriante, Adam fut le déclencheur d'une nouvelle manière de vivre l'art lyrique à Rouen. Pourtant, toute agitée qu'elle fut, la vie de la maison était riche en émotions et en bonheurs divers. Parmi eux – et parmi les plus surprenants – fut sans conteste la création de « Teresa », un opéra de Pierre Bourgade sur une musique de Pierre-Constant dans laquelle on voyait le marquis de Sade voler le cadavre de Sainte Thérèse d'Avila et menaçant de lui faire subir les outrages ultimes s'il n'avait pas l'assurance de son absolution par le Pape. Le spectacle fut donné très symboliquement dans les carrières du château de Lacoste chez Sade lui-même avant de venir à Rouen dans un espace scénique reconstitué au parterre. On se souviendra aussi d'un « Tannhauser » au cours duquel les choeurs depuis le « poulailler » envoyaient des flots de confetti dans la salle  !

Le théâtre était certes agité de mouvements contradictoires mais il vivait au rythme d'une maison de création qui était sa fonction essentielle. On peut se rappeler que dans ses dernières années Adam mit en scène une « Eurydice » de Peri qui fut le premier opéra baroque présenté à la chapelle du lycée Corneille et ce fut un événement. Mais, Adam aimait les contrastes. Dans le même temps, il confiait à la très anti-conformiste « Pie Rouge » la mise en scène de « La vie parisienne ». qui valait son pesant de fantaisie et d'irrespect.

Même contesté, Adam menait sa barque au milieu des tempêtes jusqu'au jour où la politique revint à grands coups de rame dans l'aventure.

L'arrivée de Léonard !

Il faut savoir que les municipalités successives supportaient mal, avec raison, de voir Rouen assumer seule les charges de son théâtre alors que l'essentiel du public venait des communes environnantes et des départements limitrophes. A son arrivée aux affaires, Yvon Robert engagea une partie de bras de fer avec ces partenaires potentiels avec pour objectif d'obtenir les moyens de bénéficier d'une meilleure répartition des mânes financières. Mais les intéressés (ou plus exactement ceux qui auraient dû l'être) faisaient la sourde oreille. A bout d'argument et en désespoir de cause, le maire de Rouen en vint même à menacer de fermer le théâtre.

Avec son adjont à la Culture Jean-Robert Ragache et son conseiller culturel Serge Sobzinski, Yvon Robert trouva la parade. Il créera en 1998, une association qui sera confiée à Laurent Langlois. Auréolé des lauriers qu'on lui tressait à juste titre pour son festival, Langlois estima qu'il avait tout à gagner à prendre des fonctions importantes et, il faut le dire, flatteuses. Sans regrets apparents, il abandonnera « Octobre » qui était véritablement son enfant et qu'il avait porté à un niveau de qualité tout à fait remarquable.

Comme s'il fallait se débarrasser de souvenirs trop encombrants, la maison (ou plus exactement l'association qui en prenait la charge) fera table rase du passé et prendra le nom de « Léonard de Vinci » dont l'appellation quelque peu mégalomane annonçait l'universalité de son programme.

La prise de pouvoir se fit sans ménagement et se concrétisera par un grand coup de balai dont les plaies restent encore vives chez ceux qui l'ont vécu.

C'est ainsi que l'on assistera à une opération, solidement orchestrée qui entraîna dans sa chute et sans distinction le directeur, les choeurs, les musiciens de l'orchestre, le corps de ballet, les habilleuses, les couturières, le personnel technique et jusqu'aux ouvreuses et dames du vestiaire.

En un mot, la maison fut vidée de sa substance humaine.

Et on se souviendra de cette séance du conseil municipal où devant l'ensemble du personnel du théâtre venu en nombre et qui se battait pour sa survie, une municipalité de gauche se livra, à la presque unanimité et sans état d'âme, à la suppression de la régie municipale qui entraînait des licenciements massifs que la droite n'aurait jamais osé faire.

De plus les « reclassements » donnèrent lieu à des colmatages qui seront accomplis sans tenir compte des antériorités et des talents des intéressés et qui furent socialement indignes.

Ainsi en arrivant, Langlois put se targuer d'avoir trouvé une « page blanche » - ce qui était injuste dans la mesure où c'est lui qui avait concouru à la gommer - et se trouva maître d'un château démantelé dont on avait chassé les fantômes qui le hantaient depuis près de trois siècles.

Fort de l'appui des tutelles, il aurai eu tort de se priver et mit en place ce qui fut, du moins dans un premier temps, un produit dérivé d'Octobre, devenu « Automne en Normandie » et dont la direction avait été confiée à Philippe Danel.

Langlois avait des idées qu'il avait mises en application avec son festival. Il faut se rappeler que c'est lui qui, du temps de  « Octobre en Normandie », donna des lettres de noblesse au Hangar 23 que depuis on a vidé de son sens pour des raisons quelque peu fallacieuses et que la chapelle du lycée Corneille devint le temple de grands concerts symphoniques avec des formations et des chefs de renom international. Confondant quelque peu l'esprit d'un festival avec celui d'une maison d'opéra, il y eut chez lui une confusion des genres qui mit du temps à harmoniser les contradictions. Mais il arrivait avec deux atouts majeurs qui seront déterminants dans l'action qu'il voulait mener : Laurence Equilbey et son choeur « Accentus » et Oswald Sallaberger qui marqua d'une manière durable le renouveau de la masse orchestrale.

Ils formeront l'épine dorsale sur laquelle Langlois va développer sa politique... et sa réputation. Il le fera d'ailleurs d'une manière assez durable pour que les intéressés restent dans la place alors que, lui, allait perdre la sienne.

 

A suivre : Sallaberger/Equilbey : les atouts de « Léonard »

 

 

 

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