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Théâtre en Normandie

« Le Barbier de Séville »: éloigné des bonheurs d'habitude

4 Octobre 2019 , Rédigé par François Vicaire

C'est presque enfoncer des « jalousies » ouvertes que de dire que Rossini est un magicien et que son « Barbier » est un des plus beaux tours qu'il ait offerts à l'art lyrique.

On a beau connaître la partition par cœur (ou presque), ne rien perdre de cette « furia » musicale qui déferle sur une histoire dont on sait tout grâce à Beaumarchais, et à chaque fois, s'y laisser prendre. Quelle que soit la version fidèle ou décapante qui en est donnée.

Bien sûr, dans la succession de « Barbier » qui défilent depuis des décennies, les bonheurs ne sont pas tous de la même intensité. A priori, on pourrait même penser que l'oeuvre n'aurait plus rien à proposer de nouveau si certains n'y apportaient une approche différente et plus poussée du caractère des personnages, en un mot lui donnait un coup de jeune là où il ne pourrait y avoir que des bonheurs d'habitude.
C'est le cas pour cette production présentée à l'Opéra de Rouen-Normandie. Et c'est pour une bonne part grâce à la mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau qui conjugue avec beaucoup d'adresse et d'élégance les recettes éprouvées d'un vaudeville lyrique très marqué par son époque et une vision intellectuellement plus contemporaine sans, pour pourtant, lui faire perdre de son intégrité d'origine.

Joshua Hopkins et Lea Desanbre (photo Jean Pouget)

C'est le résultat d'une véritable réflexion qui permet aux marionnettes que les personnages pourraient être, de se sentir concernés par une partition, dont l'inspiration n'est pas, il faut le reconnaître, d'une intériorité excessive. Dans cette succession de morceaux de bravoure qui n'a d'autre ambition que de mettre les voix en valeur, Pierre-Emmanuel Rousseau a su faire passer de la vie grâce au jeu subtilement parallèle d'une domesticité constamment présente et qui, par petites touches allusives, ponctue l'action et sert en quelque sorte de lien dramatique. C'est le cas pour le personnage de Berta dont Julie Pasturaud développe les étonnantes ressources parodiques et fait, en même temps, valoir dans le seul air qui lui est dévolu – et ce n'est pas le moins intéressant, loin s'en faut - une belle solidité de timbre aux rondeurs séduisantes.

Dans l'esthétique de la mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau (il est également l'auteur des décors et des costumes) l'histoire retrouve une illustration qui se « désitalianise » pour retrouver son côté plus spécifiquement sévillane. Il est dans le défilé des pénitents en tout début d'action, dans les murs de la maison tapissés d'azuleros, dans la vierge de Guadaloupe qui domine les aîtres et jusque dans les tentations hispanisantes auxquelles Xabler Anduaga, dans sa deuxième romance du premier acte, se plait très fugacement à succomber. D'ailleurs ce jeune ténor peut se permettre toutes les audaces. Très efficace sur le plan de la comédie, ce qui n'est pas évident pour un personnage aux élégances, par définition, décoratives, il affirme un beau timbre et une agilité qui lui permettent au dernier acte de se lancer – comme s'est instituée une tradition toute nouvelle chez les « Almaviva » - dans l'air, périlleux entre tous mais terriblement payant, d'Angelina de la « Cenerentola ». Une substitution d'emploi que n'aurait peut-être pas désavoué Rossini et qui valut à Anduaga une belle ovation à la mesure de celle que recueillit Léa Desandre pour qui Rosine était une prise de rôle. Elle est séduisante, charmante comédienne et joue avec adresse d'un timbre qui a la clarté et la solidité d'un soprano mais aussi les couleurs mordorées d'une mezzo. Un compromis pour un rôle dont les tessitures permettent de mettre parfaitement en valeur de belles richesses vocales... ce qu'elle prouve avec beaucoup d'autorité dans son chant et de finesse dans son jeu.
L'autorité, le Figaro de Joshua Hopkins en est pétri avec, en plus, une touche de sensualité agressive qui donne à son personnage une tonalité franchement canaille. Son timbre est éclatant, son émission impertinente. Sa présence a un allant et un style parfaitement efficaces. Mirco Palazzi (Bazile) et Riccardo Novaro (Bartolo), de leur côté, ont de grandes et réelles qualités. Ils ont les timbres de l'emploi encore qu'ils ne perdraient rien à entretenir plus de profondeur vocale et plus d'autorité scénique.

Sous la direction à la fois fluide et incisive d'Antonello Allemandi, l'orchestre et les choeurs de l'opéra s'emballent et nous emballent à la mesure d'une spectacle qui « balance » dans tous les sens du terme et qui ouvre la saison de l'opéra de Rouen sur des perspectives novatrices bien réconfortantes.

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