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Théâtre en Normandie

« Carmen intime » à Sainte-Croix : l'art de réduire sans dénaturer

14 Novembre 2013 , Rédigé par Vicaire François

« Carmen intime » à Sainte-Croix : l'art de réduire sans dénaturer

Ce serait injuste de se référer au choc que procura en son temps « La tragédie de Carmen » de Peter Brook .... A ce train-là, on ne ferait plus rien de neuf et on s'en tiendrait à des références qui deviennent rapidement obsolètes. C'est un peu la préoccupation des metteurs en scène qui depuis quelques années s'emploient à casser les moules pour construire des visions plus proches de l'esthétique du moment. Brook a fait école. Les réductions d'opéra se sont multipliées et ont permis de proposer des œuvres plus souples, plus accessibles sans pour autant les dénaturer et, en définitive plus lisibles à l'intention de nouveaux publics à conquérir.

La version qu'en donne Frédéric Roels avec cette « Carmen intime » relève de cette démarche sympathique qui, si elle n'apporte pas, en soi, grand chose à l'ouvrage de Bizet permet au moins de confronter les visions que l'on a d'un personnage complexe et de jongler avec les difficultés que représente une distribution réduite dans un espace qui l'est tout autant.

Dans ce sens, la conception de Roels est une réussite. En utilisant le cadre, trop mal employé depuis quelques années, de Sainte-Croix des Pelletiers, il a su concentrer l'action d'une manière tout à fait plausible même si, bien évidemment, les coupes sombres qu'il a opéré dans un livret que l'on connaît par cœur, sautent d'une scène à l'autre avec, à l'occasion des retours en arrière ou au contraire des bonds en avant qui précipitent les évènements.

Le même problème s'est posé à Jacques Petit avec la partition pour laquelle il a fait de cette grande fresque musicale une réduction pour un seul violoncelle. C'est une gageure. En tenant compte des intégralités de la musique de Bizet qu'il ne s'interdit pas heureusement, de transgresser, il jongle avec des incursions dans lesquelles on retrouve sa grande maîtrise de l'orchestration et en même temps cette totale liberté de ton et d'inspiration dont il ne se départit jamais. Avec un instrument qui, par sa couleur et sa souplesse mélodique, convient si parfaitement à la voix, il évite l'utilisation servile d'un procédé qui n'aurait pu être qu'un adroit placage. Jacques Petit s'est affranchit, comme Roels dans la mise en scène, des schémas trop stricts. Une exigence qui n'était pas facile à résoudre, pour l'interprète d'abord – en l'occurrence Florent Audibert le soir de la première - qui mène un remarquable travail de concertiste mais aussi pour les chanteurs qui, échappant souvent à une ligne mélodique convenue, doivent parfois affronter des problèmes de justesse rapidement rectifiés.

Et tout naturellement, on en vient à la distribution et aux voix. Ce sont quatre jeunes chanteurs de la compagnie qui assurent ce périlleux défi. Ils y mettent, les uns et les autres et avec des bonheurs divers, du mordant et de la sensibilité. La proximité avec le public, le discours musical en réduction, l'espace scénique qui se circonscrit à un simple quadrilatère délimitant leurs évolutions, sont autant d'écueils qu'il leur faut affronter pour maintenir tout au long du spectacle une véritable intériorité.

Catherine Lafont, avec un rôle, vocalement et scéniquement encore un peu lourd pour ses charmantes épaules, joue adroitement d'un beau grain de voix dont on pressent qu'il devrait rapidement s'épanouir dans un registre auquel sa tessiture l'autorise. Sa Carmen reste quelque peu extérieure mais sa nature dramatique et son timbre séduisant s'imposent dans l'ultime scène à laquelle elle apporte, par sa force dramatique et vocale, sa véritable dimension.

Quant à Carlos Natale, il est victime d'une fâcheuse erreur de casting. Ce n'est pas rendre service à un jeune chanteur que de lui donner les emplois pour lesquels il n'est manifestement pas fait et de laisser Almaviva (et encore !) se fourvoyer dans l'emploi d'un Don José qu'il ne sera jamais. Ce n'est certes pas de sa faute. Sa vaillance est méritoire et il faut la saluer mais lui souhaiter de revenir très vite dans un registre qui lui convienne mieux.

Par contre, Vincent Billier a la carrure vocale, le beau timbre et la présence qui en font un très bel Escamillo qu'on aimerait entendre dans des conditions lui permettant de se mettre vraiment en valeur et dans des emplois dramatiquement plus corsés. C'est également le cas de Jenny Daviet qui est, en réalité, la vraie révélation de ce spectacle. Roels ne s'y est pas trompé qui lui a laissé dans leur intégralité les deux scènes réservées à Micaela. Dans le duo avec Don José comme dans son air du troisième acte, elle s'affirme comme un très beau, très pur, très solide soprano. La ligne de chant est parfaite, le timbre d'une couleur très séduisante et elle fait valoir une intelligence d'interprétation qui compense largement la mièvrerie que l'on accorde trop souvent au personnage.

En réalité, si l'audace doit être quelque part, c'est chez les chanteurs qu'il faut aller la chercher. Ce sont eux qui donnent le ton et le style à une œuvre et qui lui insufflent sa jeunesse et son dynamisme.

Daviet et Billier sont de ceux-là. Ils ont des qualités lyriques et émotionnelles qui échappent aux artifices pour payer comptant. On a hâte de les entendre à nouveau.

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