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Théâtre en Normandie

A l'Opéra de Rouen : Les jolies pochettes-surprise de la rentrée

14 Septembre 2019 , Rédigé par François Vicaire

Avec les saisons théâtrales qui s'annoncent, c'est un peu comme si on se préparait à fêter Noël en avance. Cette succession de cadeaux enrubannés qui arrive des quatre coins de l'agglomération donne au grand enfant qui sommeille dans tout spectateur l'impression de se voir offrir des pochettes-surprise dont surgiront des bonheurs inédits.

Eric Talbot ne s'y est pas trompé. En nous laissant feuilleter la programmation de l'Opéra de Rouen, il a aiguisé nos envies de revenir à une table si bien remplie et de partager quelques unes de ces agapes culturelles que Loïc Lachenal a concoctées en apportant à la maison de nouvelles saveurs sans dénaturer pour autant les ingrédients éprouvés qui assurent la pérennité de l'art lyrique.

D'où, pour « Théâtre en Normandie », un de ces éternels retours qui ont fait de Dranem ou de Sarah Bernhardt, sans parler de Johnny, les champions d'inusables adieux toujours remis à plus tard tant il est difficile de quitter ceux qu'on aime.

Revenons donc au menu de l'Opéra de Rouen Normandie dont la carte fait le grand écart. Entre le « Macbeth underwolf » de Pascal Dusapin et « Le postillon de Longjumeau » d'Adolphe Adam, il y a un monde... mieux qu'un monde, une philosophie.

"Le Barbier" sur grand écran

En programmant dans une même saison, deux oeuvres diamétralement éloignées, Lachenal signe véritablement un manifeste associant ce qui fit la popularité de l'opéra à ses tout débuts au renouveau radical que l'avenir lui promet. Il y a quelques années encore le principe aurait fait grincer les dents, aujourd'hui il s'impose de lui-même à un public qui se contruit ses propres références.

A cela, il faut ajouter la chapelle du Lycée Corneille. Sa programmation relevant d'une vision unique – et non pas unifiée – cette maison vénérable va bruisser d'étincelles polyphoniques venues d'un ailleurs parsemé de pépites qui ont nom Monteverdi, Gluck, Haendel, Bach, Beethoven, Poulenc et Rachmaninoff pour ne parler que d'eux.

Vincent Dumestre en a fait son lieu de prédilection. Cette année, il l'abandonne pour présenter sa nouvelle production à l'Opéra de Rouen où il sera plus à l'aise pour déployer les flamboyances de « Coronis », une œuvre du compositeur espagnol Sébastian Duron qui est une révélation. Se réfèrant directement à la grande tradition de la « Zarzelua », l'ouvrage a la particularité de faire appel à une distribution uniquement féminine à une époque où la France et l'Italie faisaient une grande consommation de castrats. Ce n'est pas la moindre des particularités de ce représentant peu connu du baroque espagnol dont le livret est d'une incroyable densité fantastique. Pour se faire, Omar Porras utilise dans sa mise en scène toutes les ressources de savantes « machineries » que seul un espace scénique approprié peut lui offrir.

Et puisque nous somme dans l'opéra, restons-y avec une saison d'une grande richesse et d'une grande modernité dans la mesure où des personnalités comme David Bobée et Pierre-Emmanuel Rousseau vont apporter à des ouvrages du répertoire une esthétique et une réflexion qui vont certainement aller, sinon à l'encontre de la tradition, du moins leur donner un sacré coup de jeune.

Bobée s'attaquera à « Tosca » qu'il ne revisite pas vraiment mais à qui il apporte un éclairage plus actuel sans pour autant malmener Puccini. Quant à Rousseau, il va donner du « Barbier » une lecture plus appuyée et plus directement politique, certainement plus proche de celle de Beaumarchais que de l'illustration bondissante de Rossini. Mais là encore les dicothomies devraient être assez subtiles et complémentaires pour qu'on ne parle pas de trahison.

Dans la même trajectoire des oppositions fructueuses, on va découvrir, à côté du solennel « Serse » de Haendel qui va réunir de jeunes révélations du chant, et retrouver le « Freischütz » de Weber dont le romantisme échevelé sera servi musicalement par Laurence Equilbey à la tête de l'orchestre de l'Opéra de Rouen. Et comment ne pas évoquer dans une veine tout à fait différente mais tout aussi fascinante, l'admirable « Combattimento di Tancredi e Clorinda » porte à son plus haut niveau la parfaite adéquation de la qualité du chant et de l'intériorité dans son expression. Et c'est tout naturellement à Corneille que ce pur chef-d'oeuvre s'y épanouira.

Dans la multitude de cadeaux que nous promet cette nouvelle saison, on pourrait, un peu au hasard, mais avec certitude, puiser dans un lot de bonheurs rares qui aligneront Wagner, Berlioz, Strauss, Schubert, Schumann, Fauré et jusqu'à Barbara grâce à Thomas Jolly qui consacrera à la « longue dame brune » un joli moment rétrospectif. Et puisque nous parlons interprète restons-y en relevant les noms de Sandrine Piau, de Karine Deshayes, de Marie-Nicole Lemieux, d'Alexandre Tharaud, des sœurs Labèque, de Larbi Cherkaoui etc.... Pour composer son menu musical, il faudra se livrer à de subtils assaisonnements. C'est un travail de chef qui colle bien aux ambitions de Loïc Lachenal qui entend donner à sa maison une réputation étoilée en même temps qu'il doit désormais se pencher sur le destin des opéras de France en prenant la présidence de « Forces Musicales ». Il s'y retrouve en compagnie, entre autres, de François Bou, directeur général de l'orchestre national de Lille, avec qui il peut confronter ses expériences rouennaises puisqu'il fut un des proches collaborateurs de Marc Adam.

Bref, le jeune directeur de l'Opéra de Normandie a le vent en poupe. Il n'y a là rien qui doive étonner dans cette montée en puissance. Quand on porte le nom d'un des vainqueurs de l'Annapurna, il est logique d'avoir la tentation– mais pas le vertige car Loic Lachenal a les pieds sur terre – de s'employer à atteindre les sommets.

 

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