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Théâtre en Normandie

Françoise Boudier, la "Dame d'Etelan" :

10 Juin 2013

Françoise Boudier, la "Dame d'Etelan" :
« Quand on a reçu, il faut savoir partager »

Si elle avait vécu au siècle des Lumières, on peut penser que Françoise Boudier aurait volontiers, tout comme Madame du Deffend, correspondu avec le président Hénault à qui Etelan appartenait alors, et on peut imaginer qu'elle n'aurait pas manqué de visiter Voltaire qui, à quelques méandres de là, avait fait de la Rivière-Bourdet chez la présidente de Bernières une de ses résidences favorites.

Dans ce paysage éclairé où la noblesse parlementaire avait établi ses quartiers d'été et où l'esprit et l'Histoire couraient au fil de l'eau depuis Rouen jusqu'au Havre, les demeures étaient autant d'étapes familières et illustres dont le souvenir depuis s'estompe doucement.

Mais si les « Lumières » ne sont plus ce qu'elles furent, il leur arrive de briller encore comme des alertes. Le château d'Etelan en est le parfait exemple. Françoise Boudier est, en effet, une des rares maîtresses de maison qui sait allier encore le charme si particulier de la conversation aux plaisirs de la découverte en entretenant dans l'ambiance chaleureuse de sa belle maison un ton d'une élégance encyclopédique propre aux salons du XVIII° siècle.

Quand on a le privilège de vivre dans un cadre si parfaitement harmonieux et la charge de lui conserver tout son lustre, il y a comme une obligation morale de lui garder une signification qui le fasse échapper aux soucis du quotidien et de lui conserver ce qui lui reste d'âme.

Un petit bijou à sauver

C'est une notion que Monsieur et Madame Boudier ont tout de suite acquise quand ils ont découvert ce petit bijou qui domine le fleuve et dont la chapelle, avec ses vitraux, ses fresques et sa statuaire, en est un des ornements d'exception. Devant sa grâce et son harmonie ils ont décidé de sauver cet assemblage de briques et de pierres typiquement renaissance en y investissant leur argent, leur temps et leur cœur. Car c'est bien d'un sauvetage dont il s'est agi... sauvetage avant tout architectural mais aussi sauvetage de l'esprit. C'est ainsi que le couple décida de s'installer dans la « Maison des gardes » et de laisser la maison dans l'état non pas tel qu'il la découvrit car tout était à refaire, mais dans celui qu'il voulait lui restituer.

Il semblait difficile à tous deux, en effet, de mettre leurs pas dans ceux de leurs illustres prédécesseurs que ce soit Louis XI, François 1° où Catherine de Medicis qui, venue du Havre où elle avait repris la ville aux anglais, fit entrer Etelan dans l'Histoire en y signant les patentes conférant à son fils, le fragile Charles IX, une majorité qui fera de lui le triste et sanglant artisan de la « Saint-Barthélémy ».

De familles illustres comme les Cossé-Brissac aux représentants du Parlement de Rouen en passant par la noblesse locale, Etelan connaîtra des heures brillantes et d'autres qui le seront moins mais il évitera miraculeusement les trop grandes secousses des événements, y compris celles de la révolution, et échappera à l'oubli si ce n'est aux dégâts qu'il entraîne jusqu'à ce que la famille Boudier l'acquière et lui fasse retrouver une intégrité à la fois architecturale et intellectuelle tout à fait exemplaires.

Le refus comme une acceptation

Pour Françoise Boudier et son époux , l'histoire d'amour avec Etelan commenca un peu comme une aventure un peu folle qui leur valut au début le surnom de « fêlé ». Pour eux, il ne fut jamais question de jouer aux châtelains mais au contraire d'illustrer avec élégance cette notion du « refus » qui anima souvent les générations issues de la guerre : refus des compromissions, refus des demi-mesures, refus des apparences et surtout refus de laisser le dernier mot à l'adversité. Ils en savaient l'un et l'autre quelque chose :

Mon mari qui était rouennais a fait très tôt de la résistance aux côtés de son père qui mourut en déportation. Quant à mes parents, ils virent leur affaire disparaître dans la destruction du Havre. L'un et l'autre nous nous sommes retrouvés à la fin de la guerre avec la nécessité de remonter la pente ... il a fallu lutter contre tous les refus de toutes sortes qui auraient pu nous abattre

Jacques Boudier fit, alors, le siège des entreprises havraises pour les convaincre de l'embaucher. Le hasard et sa pugnacité le conduisirent jusqu'au Brésil, laissant derrière lui sa famille, ses souvenirs et une fiancée de dix-huit ans. A cet âge-là, on ne sait pas encore que les rêves d'évasion se trouvent parfois à portée de main pourvu qu'on sache attendre l'opportunité de les voir devenir réalité.

Elle se dessinera plus précisément, cette réalité, dans ces années d'après-guerre grâce à Georges Petit, un industriel avec lequel Jacques Boudier s'était associé. De ce jour l'avenir du jeune couple se trouvera scélle à Etelan sans qu'ils le sachent encore. Il falllut pour cela qu'en 1964, Monsieur Petit ait l'idée - la lubie devrait-on dire - de racheter un morceau d'histoire que le temps laissait s'effilocher inexorablement : c'était le château d'Etelan.

Bien que la maison soit dans un piteux état, Monsieur Petit se lança avec l'entrain des néophytes dans une entreprise ambitieuse qui sauvera la maison de la ruine mais dont il ne mesurait pas les conséquences.. En effet, les difficultés multiples liées entre autre aux exigences que réclamaient les restaurations d'un monument historique viendront quelque peu refroidir son enthousiasme. Il abandonnera Etelan à son triste sort et pendant quelques années son seul habitant sera … « Okey » le cheval que Jacques Boudier, cavalier dans l'âme, avait avec l'accord du propriétaire, installé dans les communs. Un arrangement qui lui permit ainsi qu'à son épouse, à ses trois enfants et à sa famille de prendre la mesure de la qualité de la propriété... une qualité totalement dévaluée et à la limite de disparaître au point qu'André Bettencourt alors maire de Saint Maurice d'Etelan envisagea de faire abattre ce qui risquait de devenir une ruine. C'était compter sans l'accoutumance que la famille Boudier s'était faite des lieux et du charme qu'insidieusement ils avaient exercé sur tous les membres de la famille Boudier.

Ca marche ou ça casse

Et c'est au cours d'un déjeuner dominical, la conversation ayant roulé sur Etelan, que Françoise et Jacques Boudier eurent la surprise de voir leurs trois fils les inciter à reprendre la propriété. Si Jacques Boudier souscrivit sans hésitation à cette conjuration familale, son épouse s'en montra nettement moins convaincue :

j'avais ma vie au Havre... des fonctions qui la remplissaient heureusement … mes enfants étaient grands et j'avoue ne pas avoir été très enthousiaste par la perspective de venir à Etelan surtout dans l'état où il se trouvait. Reprendre cette belle maison en ruine qu'il était impossible d'habiter, se lancer dans des travaux de restauration, remettre en était physique et intellectuel cette demeure à la fois exceptionnelle et en pleine déliquescence me semblaient une entreprise que je ne me voyais pas aborder avec sérénité. J'ai demandé un temps de réflexion à mon mari. Et puis, un jour en me promenant dans la campagne environnante, j'ai traversé une garenne isolée... j'y ai vu des papillons bleus, des lapins qui se sauvaient devant moi, de petits écureuils qui bondissaient des arbres... Devant cette nature qui s'offrait à moi, je me suis dit : « où ça marche, où ça casse ». J'ai pris conscience que « ça marcherait ». C'était en quelque sorte ma première décision de femme qui se sentait responsable et elle était importante... jamais je ne l'ai regrettée »

Cette prise de conscience digne de Rousseau emportant ses doutes, Françoise Boudier et son mari s'installèrent dans la maison des gardes et entreprirent de redonner vie à la maison et d'en faire un superbe lieu d'accueil.

De ce pari étonnant s'est dégagé chez ce couple animé d'une passion commune, une véritable raison de vivre s'inscrivant dans une philosophie solide et éclairée qui n'a jamais changé et qui passe par ce principe érigé en dogme par ceux qui travaillent pour les autres plus que pour eux-mêmes : « quand on a reçu, il faut savoir partager ».

L'un comme l'autre refusait cette notion de « châtelains » qui ne correspondait aucunement à une éthique de vie relevant d'une exigence propre à la « Réforme » à laquelle ils appartenaient tous deux.

Aujourd'hui, Françoise Boudier refuse toujours d'être « la dame du château ». Elle continue d'habiter les communs du XIV° siècle et chaque matin, son bonheur est de découvrir toujours avec le même ravissement le délicieux écrin du XVI° siècle qui sert de décor à sa vie. Seule depuis 1999, elle continue avec une patience opiniâtre d'embellir et de restaurer la propriété avec l'aide d'amis éclairés comme François Lescroart, inspecteur général des monuments historiques qui dès l'arrivée des Boudier usa de son influence et de sa compétence pour faciliter les travaux de restauration dont certains comme ceux de la chapelle s'échelonnent sur pas moins de 17 années.

Une association de soutien présidé par Jean-Yves Appard, une équipe qui met en place des animations de qualité à l'intérieur de la maison comme dans le parc dont certains arbres sont signalés « remarquables », un univers familial qui d'une certaine manière a adopté cet improbable « quatrième enfant » qu'est devenu Etelan sont les arcs-boutants qui soutiennent un édifice moral permettant à Françoise Boudier d'illustrer avec vaillance un refus de l'adversité qu'elle met à profit pour aller toujours de l'avant.

Quand en 1999 son mari décéda et que le parc fut entièrement dévasté par la tempête, elle connut un instant le goût du renoncement. Mais très rapidement, le refus – toujours lui - d'abandonner l'emporta, convaincue que la foi de quelque manière qu'on l'accepte, sera toujours plus forte qu'une pierre qui se dégrade ou un arbre qui tombe.

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