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Théâtre en Normandie

Lucrèce : pour Hugo, pour Dalle et surtout pour Bobée

1 Juin 2015 , Rédigé par François Vicaire

Lucrèce : pour Hugo, pour Dalle et surtout pour Bobée

En montant cette « Lucrèce Borgia » qui a vogué plus d'une centaine de fois en portant hauts les couleurs du CDN de Haute- Normandie, David Bobée avait deux caps importants à franchir : Victor Hugo et Béatrice Dalle.

Il s'est accommodé parfaitement du premier en le bousculant mais en lui gardant l'essence même de cette pâte tragique qui se tient toujours entre l'excès des situations et la hauteurs des sentiments. Même si le fond du texte se trouve parfois chahuté par la fougue juvénile d'un groupe de jeunes gens pour qui le dire passe après la sauvage animalité du mouvement, le « père Hugo » ne perd rien de sa force et de son impétuosité romantique. C'est si vrai que l'époustouflant combat de la pieuvre extrait des « Travailleurs de la mer », offert à Catherine Dewitt, par Bobée y trouve tout naturellement sa place. Négroni qui, dans la pièce n'est qu'une comparse, devient grâce à une Dewitt, impériale, un personnage à part entière qui fait passer un souffle tragique qui, il faut bien le dire, compense celui, plus réservé, de Béatrice Dalle.

Car il y a Béatrice Dalle !

Et c'était un pari pour cette bête de cinéma d'affronter les périls du « live » et de passer avec tous les risques que cela comporte à l'acte théâtral en s'y montrant à la mesure de ce qu'on attendait d'elle.

Autant dire qu'elle était justement « attendue au tournant ». Mais elle a négocié ce virage dans sa carrière avec beaucoup de crânerie et d'intelligence. Cette mutation artistique lui a permis de laisser dans l'ombre la Betty de « 37°2 le matin » pour mettre sa Lucrèce en pleine lumière.

Et quelles lumières !

Tout le spectacle est nimbé dans un univers contrasté, frénétique et d'une beauté qui se renouvelle constamment. David Bobée est un magicien qui met en place une esthétique d'une grande beauté et qui ne perd jamais de vue le fil des dramaturgies qu'il installe et qui comportent de très beaux moments. Il en va, ainsi, de cette sauvage et sublime séance de lapidation aquatique autour de Lucrèce et du bal chez la Négroni transformé en un véritable moment fellinien dont Catherine Dewitt est la grande prétresse.

De ce monde agité de soubresauts tragiques mais frémissant en même temps d'une grande juvénilité jaillissent des gerbes d'eau qui sont comme des fulgurances poétiques. David Bobée a mis en place un spectacle dans lequel les lumières, la musique, les chorégraphies tiennent une place primordiale.

Au milieu de ce paroxysme scénique, Dalle retient l'attention. Elle prend admirablement les lumières qui mettent en valeur un physique à la fois tragique et vulnérable. Cet élément non négligeable de son personnage est mis au service d'un jeu très retenu presque en réserve et donne à sa Lucrèce plus de distance que de véritable hauteur comme si elle était tétanisée par l'envergure de l'emploi qu'on lui a confié. Mais jouant avec une très riche palette de sentiments qui va du désespoir à l'abandon, elle révèle de beaux éclats de fureur dans lesquels elle puise des ressources dramatiques très convaincantes.

Elle est entourée d'une équipe de jeunes gens plus danseurs, circassiens ou gymnastes que comédiens mais qui sont d'une telle beauté plastique et si parfaitement à l'aise dans l'espace aquatique qu'ils occupent, qu'on ne pense pas un seul instant à leur en vouloir quand ils prennent parfois quelques libertés dans leur manière de servir le texte.

Il suffit de les voir pour comprendre et être conquis !

Catherine Dewitt qui même fugacement s'impose durablement dans les esprits, Alain d'Aaeyer, et Jérôme Bidaux sont solides et remettent à sa place le jeu théâtral sans oublier Pierre Cardonnet dont le rôle est écrasant.

Dans ce spectacle, il y a Hugo certes, Dalle évidemment mais surtout Bobée qui est le maître d’œuvre d'une fresque éblouissante et sensuelle que n'auraient pas renié ces somptueux et sanglants esthètes que furent les Borgia

photo : Arnaud Bertereau

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