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Théâtre en Normandie

La « Damnation »... au diable la raison !

4 Octobre 2013 , Rédigé par Vicaire François

La « Damnation »... au diable la raison !

Quand on n'a pas les moyens d'être fou… mieux vaut être raisonnable !

C'est un peu la philosophie, lapalissienne il est vrai, que l'on peut tirer de cette « Damnation » présentée à l'Opéra de Rouen. Une « Damnation » d'une grande sagesse, plutôt respectueuse si l'on excepte quelques fantaisies de mise en scène qui n'apportent rien à la compréhension de l'ensemble et qui s'en tient aux strictes limites d'une vision sans relief excessif.

Pourtant Berlioz était l'homme de la démesure, du lyrisme exacerbé et des partitions échevelées mais pour ce faire il faut des masses chorales imposantes, un orchestre renforcé et une distribution qui se hisse aux sommets fiévreux de la partition.

En fait, et c'est tout le problème de cette œuvre si difficile à monter, on ne sait pas exactement par quel bout la prendre. Les générations de metteurs en scène, qui se sont ingéniés avec des bonheurs divers à lui donner une structure dramatique, ont planché sur les différentes manières d'y parvenir alors que c'est la version en oratorio qui est certainement la plus satisfaisante.

Car la « Damnation », c'est avant tout une symphonie. C'est elle qui domine et développe l'action et qui lui donne sa véritable couleur plus que les palettes multiformes dont on l'encombre souvent.

Frédéric Roels s'en tient, avec sagesse – toujours elle ! - à un moyen terme dans lequel chacune des composantes du spectacle s'insère sans se contrarier mais sans former pourtant une véritable cohésion.

Chacun, d'une certaine manière, joue dans sa cour et les deux qui s'y révèlent incontestablement gagnants, sont Nicolas Krüger au pupitre et Christophe Grapperon dans le travail qu'il mène avec le chœur.

Le premier avec une formation qui n'a pas l'envergure que devrait lui apporter, au bas mot, les quelque 90 musiciens qu'elle demande, fait véritablement passer un souffle d'une grande puissance et d'une belle couleur. L'orchestre y est excellent et assure brillamment les grandes plages orchestrales qui font de la « Damnation » cet opéra de concert qu'avait voulu Berlioz.

Quant aux choeurs, dans lesquels on retrouve la "patte" d'Equilbey; leurs sens de la nuance et la belle passion des palettes sonores qu'ils affirment, sont véritablement portés par une musicalité sans défaut. Bien sûr, là encore, il faudrait un peu plus de monde, plus d'ampleur, plus de richesse dans chacun des parties mais l'ensemble est d'une vaillance parfaite même si entre autre dans la fameuse fugue, elle montre ses limites.

Mephisto, surtout... et Marguerite

Côté distribution, c'est le Mephisto de Willard White qui tire son épingle du jeu. Il a la couleur et la puissance du rôle et en même temps l'intelligence subtile et démoniaque du personnage.

On attendait avec curiosité la Marguerite de Marie Gautrot. Un rôle lourd pour cette jeune artiste qui n'a pas attendu la grande maturité vocale pour l'aborder. Elle le fait avec beaucoup d'élégance et fait valoir une très belle couleur de timbre et des ressources d'expression qui « passent » « bien. Il lui suffit maintenant de trouver plus d'ampleur dans un registre qui s'apparente, dans ce cas précis, plus au soprano dramatique qu'au mezzo. Mais son élégance dans le phrasé, la qualité de son timbre et la tenue de son interprétation en font une des valeurs sures du chant français.
Enfin, il y a Erik Fenton qui n'a pas exactement le timbre et la vaillance du rôle. Faust, chez Berlioz, c'est ce qu'on appelle un « Heldentenor », c'est à dire un « Sigurd », un « Otello » ou un « Tannhaüser », or Fenton irait plutôt du côté des demi-caractères dotés de beaux moyens dans la couleur et la qualité de son timbre. C'est bien fait, extrêmement adroit (et il faut qu'il le soit pour affronter cette partition qui doit le faire souffrir), avec de belles ressources de mélodiste. Malheureusement, il n'a pas le lyrisme, la vaillance, l'impact vocal qu'on en attend. Sa « Nature immense », entre autre, reste en-deça de ce qu'on pouvait attendre de cette pièce magnifique tout en force et en nuance.

A signaler également l'excellent et solide Brander d'Alain Hernau.

Quant à la mise en scène de Frédéric Roels, elle oscillle entre le fantastique et le vérisme. Une grande part de la visualisation de l'action repose sur un dispositif astucieux. Elle est confiée à une groupe de danseurs qui dans une chorégraphie, volontiers répétitrice et très « datée », relève plus de la contorsion gymnique que d'une sensualité qu'on ne trouve quasiment jamais dans ce spectacle...

Pour ceux qui se faisaient une idée sulfureuse de l'enfer, ils risquent de rester sur leur faim. Et ce ne sont pas les dernières scènes du spectacle qui pourraient les en convaincre. On y voit, en effet, Faust se payer quelques tours de pousse-pousse en guise de course à l'abîme. Quant à Marguerite, elle s'envole allègrement à l'apothéose dans les cintres comme au plus beau temps des « mises en scène volantes » de Maurice Lehman qui firent rire l'Opéra dans les années cinquante. Elle est escortée par des sortes de créatures qu'on pourrait prendre pour des ectoplasmes si leur évanescence n'était agrémentée de « loupiotes » sur la tête qui les transforment, au mieux, en fées électricité ou au pire, en réverbères... C'est au choix !

Tout cela n'est que détails, direz-vous, mais il illustre bien la difficulté de rendre crédible à la scène le somptueux bouillonnement d'une partition qui, en définitive, se suffit à elle-même !

L'opéra de Rouen a eu le mérite de cette reprise difficile. Cette « Damnation » tient le public aux limites du purgatoire. Il ne reste plus à Frédéric Roels que de la donner à nouveau en concert (au Zénith, pourquoi pas ?) pour qu'il soit aux anges !

- Dimanche 6 à 16 heures et mardi 8, à 20 heures

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